En Europe, tout le monde connaît les liens anciens et profonds qui unissent l’Angleterre et les USA, à commencer par la langue et l’Histoire.
Le société nord-américaine est en grande partie composée de descendants d’immigrés
européens ( Anglais, Hollandais, Irlandais, Italiens, Juifs allemands, …
Français même) de langues, de cultures et de religions différentes. Mais la
société issue de ce mélange (fruit du fameux « melting-pot ») est
encore dominée par les WASP (les « White Anglo-Saxon
Protestants »). C’est-à-dire que le noyau qui domine culturellement et
dirige le pays depuis sa naissance en 1776 s’attache à ses racines
britanniques et laisse peu de place et de pouvoir d’influence aux grandes
minorités que sont les Indiens autochtones, les Noirs d’origine africaine
issu de commerce des esclaves, les Européens non-anglo-saxons, les Hispaniques
d’origine mexicaine, cubaine, portoricaine, ou encore les Asiatique. Pour s’intégrer
et monter dans l’échelle sociale, les enfants de ces minorités doivent
prouver qu’ils partagent le plus possible les valeurs anglo-saxonnes à
défaut de pouvoir être blancs et protestants.
Dans ce contexte, on pourrait penser que les Américains se sentent très
proches des Anglais. Or, visiblement, ce n’est pas du tout le cas !
Les Américains se voient certainement comme étant l’aboutissement le
plus avancé de ce qui doit être un Anglo-Saxon évolué, et ils considèrent
souvent les Anglais comme des vestiges vivants et anachroniques de leur passé,
des ancêtres ayant cessé d’évoluer, des « Visiteurs » venus d’un
autre âge, en quelque sorte !
Pour avoir le meilleur aperçu de la manière dont les Américains voient les Anglais, il nous est venu à l’idée qu’il serait intéressant d’observer les portraits qu’ils en font dans le cinéma hollywoodien. Même si nous nous limiterons à quelque films seulement, cela ne pouvant que donner un aperçu partiel et partial.
Nous nous pencherons tout d’abord sur le cas de deux films, mineurs certes, mais révélateurs car destinés aux adolescents d’outre-Atlantique, et ayant ainsi le pouvoir d’être formateurs et d’influencer les jeunes esprits. Et même s’ils revendiquent tout deux l’étiquette comique, il est flagrant qu’ils se basent sur exactement les mêmes schémas et ne font qu’entretenir des a priori et des idées reçues bien ancrés dans la mentalité américaine – autrement, ils ne feraient pas rire !
Il s’agit de « Destination Londres » (« Winning London ») réalisé pour la télévision en 2001 par Craig Shapiro, et de « Ce dont rêvent les filles » (« What a Girl Wants ») réalisé en 2003 par Dennis Gordon. (Notez au passage l’erreur de traduction, volontaire ou non, du second titre dans sa version distribuée en France).
Il s’agit chaque fois, dans ces deux histoires, d’une adolescente
américaine, intelligente, belle, charmante mais « avec du
caractère » … la jeune fille moderne dans toute sa perfection made in
USA, années 1990 (sans le moindre problème de surcharge pondérale comme c’est
en fait assez souvent le cas pour cette génération « Coke & MacDo ».
Notre héroïne va se retrouver plus ou moins seule à Londres, embarquée dans
un voyage-concours pour lycéens gagné par sa sœur jumelle pour l’une, dans
sa quête d’un père inconnu pour l’autre.
Et les mêmes épisodes vont s’enchaîner pour les deux : problème de
compréhension de la langue (avec cet accent étrange, les British parlent-ils
vraiment « anglais » ?) ; découverte des vieux monuments
de Londres (« dépaysants », car on n’a pas « ça »
aux States !) ; rencontre amoureuse avec un jeune fils de Lord,
charmant bien entendu, et le meilleur passeport possible pour la haute société
désuète et bonne à réformer (ce qu’elles vont s’empresser de faire, bien
malgré elles, par leur simple aura et leur modernité spontanée !).
Ces jeunes Américaines sont les « bergères » des temps modernes
dont les « princes » anglais tombent immédiatement amoureux,
charmés par leurs valeurs simples et authentiques, au point de les faire
renoncer immédiatement à leur milieu « coincé » et à leur
« pouvoir » archaïque et désuet ! Rien que ça ! Quant
au « peuple » anglais, à peine croisé dans les rues, ce ne sont
que « punks » et autres excentricités loufoques, méprisables,
malsaines ou négligeables.
L’Angleterre n’est, au mieux, qu’un musée, et au pire, qu’un zoo déroutant où vivent des Lords et des Princes (fréquentables mais à condition qu’ils changent du tout au tout !) au milieu d’êtres étranges, décadents et infréquentables.
Mais, nous direz-vous, ce ne sont que rêveries d’adolescentes romantiques
à la recherche du prince charmant ! Et tout le monde sait que les
véritables princes du XXème siècle vivent en Angleterre, don’t they ?
Peut-être. Mais les films américains pour adultes ne sont pas plus tendres
pour l’Anglais de base. Nous prendrons pour exemple ce chef d’œuvre d’humour
trop peu connu de nos jours : « L’Extravagant M Ruggles »
(« Ruggles of Red Gap ») tourné en 1934 par Leo McCarey.
Il s’agit dans ce film de la rencontre à Paris entre un couple de nouveaux
riches américains, lourdauds et quelque peu « bouseux », et d’un
Lord anglais accompagné de son valet au grand style.
Le choc des cultures (en terrain neutre, vous avez remarqué !) est
inévitable, et tourne rapidement à la publicité comparative.
Notre Lord anglais est un dégénéré qui, sans le moindre remord, joue aux
cartes et perd son maître d’hôtel. (Question sous-entendue : de quel
côté de l’Atlantique se trouve l’esclavagisme de nos jours ?).
Et notre valet au grand style, qui incarne mieux que quiconque les plus hautes
valeurs de la bonne éducation et du raffinement, n’est qu’un être coincé
et soumis, qui n’ose même pas penser un tant soit peu à son propre plaisir
(en prenant un verre) et encore moins à s’élever socialement alors qu’il
le mérite, en quittant son poste. Il est l’incarnation d’un système social
injuste et figé que son séjour outre-Atlantique va enfin faire évoluer en le
« libérant » ! (Voilà donc ce que les Etats-Unis peuvent
apporter à la vieille Angleterre, en échange d’un peu de vernis culturel
dont nos « cow-boys » ont le plus besoin !).
Il y a dans cette comédie légère beaucoup de coups de canif pour cette vielle société British, tout juste bonne à jeter aux orties. Mais rassurez-vous, elle sait se défendre et à l’occasion se moquer des Ricains lourdauds dans ses propres films … mais c’est une autre histoire.
© BP / PECAS -
Août 2005
page complétée en septembre 2006